Au Nid de Brebis

Le Nid de Brebis


vendredi 31 mars 2017

Quand l'abattoir vient à la ferme

« Comment être éleveur, dire aimer ses animaux, tout en les amenant vers la consommation humaine . « «Quand l'abattoir vient à la ferme

« Comment être éleveur, dire aimer ses animaux, tout en les amenant vers la consommation humaine ».


J'’entends de plus en plus de discours prônant le végétarisme voire le végétalisme, points de vue que je respecte. Ce que je ressens aussi souvent, et c’est là que cela me dérange, c’est une volonté de certains d’abolir purement tout élevage à des fins alimentaires. Le terreau de développement de ces idées semble être d’une part la barbarie des élevages modernes qui considèrent les animaux comme des machines à produire dénuées de toute conscience, et d’autre part, je crois, une certaine vision de la vie et de la mort…
Je veux croire que les difficultés de l’agriculture moderne sont une belle occasion de construire quelque chose de plus humain.
J’aimerais parler de l’élevage que je pratique sur ma ferme et auquel je tiens.
Je suis éleveur, c’est un mot lourd de sens et de responsabilité. J’élève des brebis, des vaches, et il y a aussi des chèvres sur la ferme, ainsi que des poules, des chiens, des chats. Mon souci quotidien est que mes animaux se sentent bien dans leur vie, soient en bonne santé et que je sois en mesure de leur donner chaque jour tout ce dont ils ont besoin en qualité et en quantité. C’est une attention de chaque instant. Je peux dire que j’aime profondément mes animaux. Ma vie, celle de ma famille et leur vie sont profondément liées. Et pourtant, en conscience, je destine certains de mes animaux à notre alimentation, votre alimentation (pour ceux qui mangent de la viande…), et ainsi j’écourte leur vie. Comment est-ce possible ?
Après la mort…
Certains croient au Paradis, beaucoup de gens n’y croient plus et ne croient d’ailleurs plus à rien. La mort est donc pour eux une fin définitive. Pour ceux-là, si par anthropomorphisme ils pensent que la brebis a la même vision de la mort qu’eux, je comprends soit qu’ils arrêtent de consommer de la viande, soit s’ils n’y arrivent pas, qu’ils le vivent mal.
Anthropomorphisme :
Est-on sûr que nos peurs et nos angoisses soient les mêmes chez nos animaux domestiques, ou ont-ils les leurs ?
Prendre le temps de les observer, me fait de plus en plus penser qu’ils ont les leurs.
La vie la mort, la mort la vie.
Pour moi la mort n’est pas une fin, c’est le début de quelque chose de nouveau. Partout autour de nous dans notre environnement, la mort nourrit la vie, la bactérie décompose la matière organique morte qui nourrit la plante qui à son tour nourrira l’homme ou l’animal, et il en est ainsi depuis le début. En cela, j’accepte la mort pour nourrir la vie. Au sens global du terme, s’il n’y a pas de mort, il n’y a pas de vie. J’ose même franchir le pas et me dire qu’il y a une vie après la mort.
Je crois en la Vie. En cela je sais Ô combien la vie d’un être vivant est précieuse. Enlever la vie n’est pas anodin, et doit être fait en conscience.
 Je ne veux plus amener mes bêtes à l’abattoir.
L’abattage des animaux se fait dans des structures de plus en plus grosses, ou des gens travaillent toute la journée à donner la mort. C’est inhumain, et ça ne peut que conduire à de la maltraitance animale. Je ne veux plus amener mes animaux dans ces structures. Je veux qu’on nous autorise, nous éleveurs à prendre en charge l’abattage de nos animaux sur nos fermes. Les faire mourir là où ils sont nés, là où ils ont vécu, là où ils se sentent bien.
De l’interdépendance entre Homme, animaux et plante domestiques.
L’homme sédentarisé a souhaité s’assurer une alimentation diversifiée à portée de mains. Il a domestiqué des animaux et des plantes. Il a construit un système vivrier dans lequel chaque espèce a sa place et se complète. Les plantes domestiques ne poussent pas si bien sans un apport animal, et n’existeraient plus sans l’homme ; l’animal domestique ne vit pas sans un apport végétal apporté par l’homme et sans sa protection ; et aujourd’hui l’homme ne saurait plus se nourrir de cueillette et de chasse.
Mangez en conscience.
Ce texte a été rédigé par un éleveur de l’Ardèche, nous le remercions.

COMMENT VOUS POUVEZ SAUVER LA VIE D'UN MOUTON

Un mouton couché sur le dos est proche de la mort, mais peut être sauvé


... mais il est important de relever le mouton !!  BAA!

Les moutons ne dorment pas sur leur dos, donc si il vous arrive d'en  voir un dans cette position, vous devez aller vite. Ce mouton est proche de la mort.
Lorsque vous  entraînez un chien de berger, vous pouvez parfois être surpris par l'agilité d'un mouton, mais ils ne sont pas conçus pour se coucher sur le dos, et ils ne sont pas capables de  se redresser seuls.
Une brebis avec une toison lourde, voire  humide ou une brebis qui est  gestante ou grasse (résultant en un large dos plat) est le plus à risque d'être coincé si elle roule.
Il est peut-être au repos, ou il peut avoir essayé de gratter une démangeaison, mais il ne sera certainement pas mis  dans cette position dans ce but là (de dormir sur le dos ).
Un mouton couché sur le dos est vulnérable pour diverses raisons: non seulement il est une proie facile pour les corneilles ou les blaireaux, mais c'est contraire à sa propre biologie .
Pour digérer l'herbe, les moutons (et les vaches) ont un estomac à quatre compartiments. La plus grande chambre est le rumen, où les aliments fibreux fermentent. La fermentation produit du gaz, et quand les brebis sont couchées dans une mauvaise position ,   le gaz ne peut s'échapper.
Le gaz s' accumule et fait pression sur les poumons du mouton jusqu'à ce qu'il ne puisse tout simplement plus respirer.
Le scénario d'une combinaison d'étouffement et/ou d'attaque de  prédateur est assez sombre, mais il est facile de l'éviter. Arriver rapidement .Pour une brebis tournée vers le haut quand vous êtes en promenade, et agissez rapidement si vous en voyez une. Laissez votre chien à une distance du mouton si vous le pouvez, et ne craigniez pas de prendre la brebis à la main sur une bonne poignée de laine  pour redresser  la brebis retournée. 
Regardez la vidéo ci-dessus, pour savoir comment il est facile de sauver un mouton qui est couchée sur le dos, puis partager cette page afin que les autres puissent voir comment le faire aussi.

samedi 25 mars 2017

Une bergère contre vents et marées", épisode 9

Une bergère contre vents et marées", épisode 9: Swimming cool

Une bergère contre vents et marées", épisode 9: Swimming cool

Par  @Culturebox
Publié le 24/03/2017 à 12H00
Bergère 9 illustration© Claude Hubert
La féminité dans la ruralité? Elle nage entre deux eaux... Tant qu’à se mouiller, je préfère sauter dans le grand bain à pieds joints!
Cette semaine, l’école du village a repris le cycle de piscine, que j’accompagne parfois. Je garde de ma propre sportivité scolaire un souvenir tellement épouvanté que j’ai l’impression de rétablir un équilibre en revivant ces séances de manière positive (et sans bonnet de bain, ce qui est peut-être la revanche la plus glorieuse).
C’est aussi une manière de partager un moment avec mon fils et ses copains, car notre relation ne connaît que le rythme du quotidien. Nous ne sommes jamais partis en vacances ensemble, et je crois qu’il ne m’a jamais vue dormir ailleurs que dans mon lit. Je l’élève pourtant dans une idée d’ouverture au monde et de curiosité culturelle, mais tant que je ne peux pas l’emmener faire un vrai voyage, accompagner sa classe à la piscine semble un bon début.
Bergère 9 01© Claude Hubert
J’avoue avoir un dessein caché, une fine stratégie: améliorer l’image des agricultrices aux yeux des enfants. Certains trouvent que le métier de secrétaire constitue l’objectif d’une carrière féminine, parce qu’elles ont de jolis ongles, une petite voiture bien propre et que les 35h leur permettent de passer la serpillère tous les jours (à noter: je croyais que les grands salons vides en carrelage blanc n’existaient que dans les publicités Monsieur Propre, mais en fait ce choix décoratif est très répandu).
L’image que je donne à l’école est probablement navrante: sale et pauvre. Une maîtresse a même évoqué une dénonciation à la Protection Maternelle Infantile parce que mon fils avait parfois du foin dans les cheveux et des tâches sur son manteau. J’ai compris qu’il avait honte quand il a critiqué l’affiche de mouton collée sur ma camionnette… Puis un jour j’ai vu l’utilitaire de mon pote Louis, qui est dératiseur. Sa fille ne s’offusquait pas d’être conduite à l’école dans un véhicule décoré de rats, de cafards et de frelons, donc j’ai décidé que mon rejeton assumerait notre mouton.
Accompagner à la piscine me permet donc de prouver que
1/ j’ai les pieds propres sous mes bottes de travail
2/ ma profession est indécelable en maillot de bain
4/ on peut être paysan sans être un quinquagénaire bourru
 
Bergère 9 02© Claude Hubert
L'’agriculture est un des domaines professionnels les plus paritaires! Peu de femmes sont installées seules, mais beaucoup sont associées. Leur champ de compétence les oriente vers la comptabilité de la ferme, les soins délicats aux animaux, la commercialisation ou les marchés. Tandis que le machinisme ou le suivi de culture sont d’avantage du ressort des hommes. Ce qui peut sembler machiste! Pourquoi les hommes auraient-ils l’hégémonie des décisions techniques, en laissant aux femmes les tâches moins valorisantes, moins spécialisées, et surtout l’entière gestion du foyer?
Mon sens féministe se hérissait de ce constat, jusqu’à ce que mon père évoque une hypothèse bis, en analysant le comportement de nos ancêtres dans les Pyrénées. La vie quotidienne était rude et les pause-repas ritualisées: les femmes debout servaient les hommes assis… pour les faire manger plus vite et les renvoyer aux travaux des champs! Ainsi, cette apparente soumission cachait une gestion rigoureuse de la "main d’œuvre corvéable". Les femmes étaient les personnalités fortes et avaient la main sur le trousseau de clés et les sous, cette gestion domestique qui me semble dévalorisante était un enjeu de survie avant-guerre!
Quand je regarde les femmes agricultrices autour de moi, je les trouve belles et fortes, et courageuses. Pas soumises. Elles gèrent mieux la pression que leurs homologues masculins car elles ont une gestion plus précise de l’exploitation. Elles savent exprimer leurs émotions donc souffrent moins de détresse affective ou de maladies psychosomatiques. Leur caractère indépendant les ont incitées à quitter la ferme familiale plutôt que s’y laisser enfermer par mission du devoir entre deux parents omniscients. Et elles s’épanouissent dans le syndicalisme!
Les stagiaires que j’accueille, des super-nanas, n’autocensurent pas leur projet à cause de leur condition féminine, elles en font un moteur.
Bergère 9 03© Delphine Détrie / Lux for Films
Mais alors, pourquoi cette sensation d’être moins prise au sérieux parce que je suis une femme? Pourquoi dois-je lutter contre des calomnies sur ma vie privée? Pourquoi suis-je traitée d’allumeuse quand je dis bonjour, et d’arrogante quand je ne dis plus bonjour? Pourquoi me fait-on comprendre que ma place n’est pas ici?
Ce rejet n’est jamais venu du monde agricole. Les paysans ont certes un penchant pour les rumeurs, histoire de remplir les conversions avec les histoires des autres plutôt que se dévoiler eux-mêmes, mais ils ne sont pas misogynes. Ils savent à quel point une femme peut abattre du boulot, et que la survie de nombreuses fermes ne serait pas possible sans leurs compétences. Le dénigrement viendrait plutôt des habitants les plus défavorisés, qui ont grandi dans un triste cloisonnement culturel et social. Ceux-là même qui votent Front National, très présent dans nos petites communes. J’avoue que je ne soupçonnais pas une telle concentration de parcours sombres ponctués d’assistanat, malbouffe, violence domestique, mise sous tutelle, télévision comme seule fenêtre sur le monde, vocabulaire réduit au minimum… Sans parler de ce que l’on cache: le handicap, l’alcoolisme ou l’inceste. Je découvre ce qu’est la vraie mixité sociale, mais désertée de ses plus prometteurs individus, qui sont partis chercher des jobs qualifiés en ville. Quand on arpente les petits chemins dans la journée comme je le fais, on découvre le niveau de désœuvrement de ceux dont la vie est remplie de vide. Et dont l’ouverture au monde est proche de zéro. Leur horizon est si restreint que leur perception de la femme en pâtit: elle ne peut être qu’une discrète mère de famille ou une fille facile. Mais pas gérer sa propre affaire et s’exprimer insolemment dans l’espace public.
On a menacé de brûler ma bergerie, on l’a inondée en déversant des citernes d’eau, on a raconté que j’étais une actrice X – ce qui est sans doute lié: celui qui croit que je viens de cet univers ne comprend pas pourquoi je refuse ses avances. J’ai reçu cinquante lettres écrites sur des essuie-tout, menaçant de me tuer ou de se suicider devant chez moi. On m’a même attribuée la pratique de boire du sang d’agneau.
En conséquent, j’écarte l’idée d’une teinture rousse, au risque de me faire brûler comme sorcière.
Bergère 9 04© Claude Hubert
Les séances de piscine constituent une excellente parenthèse enchantée, entre maillots de bain Reine des Neiges, long cheveux à tresser et câlins spontanés des froussards de l’eau. La compétition entre parents accompagnateurs: s’incruster avec le groupe des Tortues dans le petit bain chauffé plutôt qu’avec les Pieuvres dans le grand bassin où on grelotte sans bouger!

"Une bergère contre vents et marées", épisode 8

"Une bergère contre vents et marées", épisode 8: Rock’n Roll

"Une bergère contre vents et marées", épisode 8: Rock’n Roll

Par  @Culturebox
Mis à jour le 18/03/2017 à 19H59, publié le 17/03/2017 à 12H00
Bergère 8 illustration© Claude Hubert
La vie agricole est plus folk que pop. Elle est empreinte de sombre poésie et se vit avec les tripes. Elle souffre d’inadaptation à la société qui l’entoure et ses revendications sont incomprises par la bien-pensance dominante, ce qui engendre un ferment de rébellion. L’élevage est un manifeste rock.
Il n’y a évidemment pas qu’un seul type d’agriculture. Un céréalier qui exploite 700 hectares dans la Beauce n’a pas les mêmes challenges qu’un maraîcher bio qui cultive 2 hectares dans le Lot-et-Garonne. Et un paysan-boulanger n’a pas l’impression de partager le même métier qu’un éleveur de porcs breton ou qu’une ferme-auberge dans le Jura.
Sans hiérarchiser les productions, qui ont toutes de sacrés défi à relever, il est cependant certain que l’élevage est la branche la plus propice aux émotions fortes et aux envolées dramatiques!
Être éleveur, c’est être le patriarche d’une famille nombreuse qui vit entièrement tributaire de nous. Il n’y a pas de temps mort, on ne peut pas mettre le troupeau sur OFF une journée, pas plus le dimanche que le jour de notre mariage ou un matin de gueule de bois.
Bergère 8 2© Claude Hubert
Le troupeau est cette machine infernale qui a besoin de manger et boire tous les jours, et qui prémédite la manière la plus pernicieuse de s’échapper de son enclos, de piquer la ration de son voisin ou d’écraser sa progéniture. Peu importe l’animal, un éleveur ne dort jamais serein. D’ailleurs, il n’a pas d’horaires et la nuit ne l’effraie pas.
Certains systèmes d’élevage ont la capacité "d’encadrer" d’avantage les animaux, notamment les hors-sol qui vivent enfermés dans de tout petits espaces… mais ces industriels peuvent-ils porter le nom d’éleveur? Même dans le cas du cochon élevé en intensif, la surveillance des mises-bas et de la concurrence entre porcelets est essentielle à l’équilibre financier. Même en étant dénué de nunucherie animale, fusionner avec le troupeau est incontournable. Sinon, c’est mort en série et clé sous la porte.
 
Bergère 8 3© Claude Hubert
La mort constitue une des dimensions inéluctables de l’élevage. On ne peut pas l’ignorer, ni même la déléguer. Puisque l’on joue au Créateur en organisant les naissances, les saillies, l’abattage et les courbes de poids des animaux, il faut assumer que cette quête de performance puisse engendrer des pathologies, des accidents et des décès. Ou pire, des agonies qu’il faut soulager. C’est un pacte passé avec le troupeau: je m’engage à vous nourrir, vous protéger, vous mener dans les meilleures prairies, vous aider à élever vos petits, mais aussi à vous respecter et abréger vos souffrances si nécessaire.
Ce n’est évidemment pas de gaieté de cœur, et quand cela arrive on a honte de ne pas l’avoir anticipé, par exemple en réformant une reproductrice déjà âgée, ou avoir négligé ce chien en divagation qui a attaqué un de nos animaux.
A l’autre bout de la chaîne, il y a les naissances et le lien particulier qui se créé avec certains membres du troupeau. Entre la vie et la mort… beaucoup d’adrénaline! Accrue par l’impossibilité de s’éloigner afin d’être toujours prêt à intervenir, et le faible pouvoir d’achat inhérent aux petits élevages, ce qui crée une tension permanente. Car en France, élever des animaux coûte plus cher que le prix auquel ils sont vendus. C’est pour pallier ce déséquilibre qu’ont été créées les primes, ces béquilles qui colmatent les aberrations financières (car si la viande coûtait moins cher à produire, alors le prix de vente suffirait à l’éleveur pour faire tourner sa ferme). Cette  économie agricole est sur le fil du rasoir, c’est pourquoi les petits élevages semblent toujours bricolés avec des bouts-de-ficelle. Et aussi parce que les priorités professionnelle sont hiérarchisées différemment.
 
Bergère 8 4© Claude Hubert
Travailler dans cette atmosphère constitue un début de marginalisation, car bosser seul dehors endurcit forcément: on patauge dans la boue la moitié de l’année, on vit en vêtements de chantier, et notre vision du monde est conditionnée par les besoins des animaux.
Quand il pleut, je ne me dis plus: "Zut, mes cheveux vont être raplapla" mais "Aïe, je n’aurai pas dû sortir le 17024, ce cornichon ne va pas avoir le réflexe de s’abriter sous une haie" ou bien "Chouette, ça va donner un petit coup de fouet à la pousse de l’herbe.
Avoir les cheveux plats (et sales) n’est pas très grave comparé au formidable sentiment de liberté de travailler dehors, dans un environnement sauvage et d’être indépendante! Si la surveillance et les soins aux animaux sont le moteur d’une journée, le reste du planning est libre. On a le droit de rester hirsute et en jean déchiré, aucune convention n’oblige à être présentable. Notre quotidien est implanifiable car tributaire de la météo et des aléas du troupeau. Rouler dans une camionnette brinquebalante confère un sentiment de libération de la société de consommation, et il est conseillé de manger comme un ogre à midi si on veut tenir jusqu’au soir. Quant à boire des Suze, il s’agit d’un acte d’intégration interprofessionnel.
 
Bergère 8 5© Claude Hubert
Être agriculteur donne une contenance particulière dans l’exercice social, nous semblons exonérés des codes de la société de consommation. En plus, on nous prête ce fameux bon sens paysan. Qui légitime parfois de la désobéissance civile tant certaines règles se contredisent ou sont inapplicables. Il ne s’agit pas d’être anarchiste, mais de garder du libre-arbitre face à des obligations appliquées au rouleau compresseur (par exemple, un service administratif m’oblige à construire une vraie bergerie, mais une autre branche de ce même service me l’interdit). Ce genre de pression finit par rendre rebelle au système en place!
On nous demande souvent notre interprétation météorologique, ce qui est drôle (parce qu’on consulte Météo France, et on adapte un dicton à ce qu’on vient de lire). Et enfin, les citadins nous donnent beaucoup leurs chats, parce qu’ils sont malheureux en appartement. Le curseur d’hygiène est d’ailleurs revu à la baisse pour que les chats des villes apprennent à cohabiter avec lapins et chevreaux dans la maison… Mais la tolérance à la saleté, c’est aussi parce que mon quotidien est fait de vase et de fumier, et que je n’ai pas l’eau courante partout. Et parce que je préfère avoir les mains sales pour une bonne raison ici, que propres dans un bureau aseptisé et déshumanisé.
 
Bergère 8 6© Claude Hubert
Il y a des moments sombres, où le futur semble menacé par les règlementations européennes, les normes, les contrôles sanitaires et comptables, les vaccins obligatoires, la suprématie des grosses fermes sur les petites… Mais l’énergie partagée avec mon équipe – composée des brebis, de mon chien, de mon fils et de mes stagiaires déterminées - permet de transfigurer ce pressentiment en revendication rock, pour défendre un terroir vivant et tonitruant!

mercredi 15 mars 2017

"Une bergère contre vents et marées", épisode 7

"Une bergère contre vents et marées", épisode 7: Les coulisses du "Salon de l’Agriculture"

Par  @Culturebox
Mis à jour le 14/03/2017 à 15H38, publié le 10/03/2017 à 16H59
Bergère 7 9
Durant ma vie parisienne, j’avais évidemment visité le Salon de l’Agriculture. J’y avais même découvert la race de moutons que je défends aujourd’hui: l’Avranchin. Je garde un souvenir plus étouffant du hall dédié aux produits régionaux. C’est pourtant là que j’ai passé une journée en tant qu’exposante. Une étrange expérience hors sol.
Participer au Salon de l’Agriculture ne faisait pas partie de mes objectifs. Même si la question qu’un agriculteur entend souvent en dévoilant son métier est:
Alors, vous exposez au salon?
Ce Salon ne regroupe heureusement pas la totalité des producteurs du pays, et n’est pas un passage obligé. C’est un exercice de style dédié à la communication terroir ou à l’esprit concours. Et il faut disposer de temps et d’un budget pour s’y rendre.
Cette année, la stratégie régionale de la Normandie tout juste réunifiée consistait à offrir la place de stand aux producteurs, et à en inviter des tout neufs, qui ne sont pas dans le circuit habituel de produits labellisés "Gourmandie" ou "Manche Terroir".
Je me suis sentie hautement flattée par l’appel de l’organisatrice m’expliquant que le Conseil Départemental avait suggéré mon nom pour représenter la Manche. Ils me proposaient  de promouvoir ma gamme d’infusions aux plantes sauvages.
Bergère Épisode 7
Ô gratitude de cette reconnaissance de mon travail, cette acceptation de ma légitimité agricole malgré ma "néoruralité". Fierté d’être adoptée par le Département. Impression de faire partie du patrimoine! Envie d’accoler le logo normand sur tous mes outils de communication!
La réalité est sans doute moins allégorique, consistant à assurer sur le stand un brassage d’exposants souriants et contents d’être là. N’empêche que cette proposition m’a tellement galvanisée que j’ai couru voir mes copains producteurs de jambon fumé et de cidre pour que l’on s’y rende le même jour. Ils sont habitués non seulement à ce salon, mais à participer à de nombreuses foires et marchés du terroir. Ils savent évaluer les quantités de marchandise à amener, installer et démonter rapidement un stand accueillant, faire déguster, sont équipés de vitrines aux normes et de véhicules alimentaires en règles. C’est leur métier.
Dans ce domaine, je suis une amatrice, et pas prête de m’améliorer, car la vente directe n’est pas mon créneau porteur: mes produits plaisent aux citadins et aux estivants, mais peu à la clientèle locale. Quand je participe à un marché, j’arrive toujours en retard car j’ai les brebis à gérer avant, et mon fils avec moi. Et peut-être aussi parce que je suis mal organisée. Ma camionnette sert à transporter moutons, chiens, enfants et produits alimentaires, ce qui défie toutes les règles d’hygiène du genre. Et mon stand est une accumulation de tréteaux, meubles de brocante, service à thé, bois flotté, et même mon armoire de salle de bain… Une installation nécessitant deux déménageurs mais plaisamment bohème.
Où je note que je gagnerais à développer mon cheptel de "chemisiers des grandes occasions"
Où je note que je gagnerais à développer mon cheptel de "chemisiers des grandes occasions"
Les organisatrices avaient préalablement convié les producteurs à diverses réunions pour coordonner la logistique tentaculaire: les badges d’accès, les horaires de déchargement et de parking, la taille des étiquette de prix, la charte de bonne conduite pour jurer qu’on n’allait pas faire de coma éthylique sous le panneau "Normandie", etc. La Région avait défini une charte graphique de bon goût, noire et blanche, pour communiquer sur la Normandie réunifiée. Des accessoires étaient fournis aux exposants, et même des cartes de visite personnalisées. Nous avons été tellement chouchoutés que j’en ai ressenti un sentiment d’imposture, habituée à ce que les agriculteurs se fassent plutôt rabaisser par les institutions qui les supervisent.
Bergère Épisode 7 4
La journée s’est passée étrangement, enfermés dans un hangar plein d’enseignes régionales bariolées, saturé de fumée de graillon, de choucroute et magret grillé. La circulation labyrinthique relevait d’un Ikea avec moquette multicolore et lino faux parquet. Au milieu d’une multitude de producteurs interchangeables, bien habillés pour exposer à la capitale ou déguisés de manière caricaturalement folklorique. Une ambiance de terroir hors-sol qui ne faisait pas tellement sourire, ni les exposants ni les visiteurs. J’ai ressenti peu de légèreté ou de gourmandise. Et j’ai surtout eu très envie de voir une plante verte, un bout de bois naturel ou le ciel.
Bergère Épisode 7 5
Les visiteurs ne se rendaient d’ailleurs que sur le stand de la région qu’ils connaissaient. Nous avons ainsi eu la visite de tous nos voisins de la Manche! Ils n’ont pas effectué d’achat, mais partager un verre semblait cimenter ce lien entre normands exilés à Paris, même quand on ne se parle pas le reste de l’année. Remarque pour moi-même: toujours s’entourer d’un convivial producteur de cidre et d’une talentueuse productrice de charcuterie fumée! Installée entre eux deux, mes infusions manquaient d’ailleurs pas mal d’épicurisme (traduction: je n’en ai vendu aucune). J’avoue aussi que je préfère boire des verres de pommeau au milieu des allées en papotant que rester derrière un comptoir…
Bergère 7 8
Ma grande découverte fut la couverture médiatique autour du salon… uniquement destinée à notre localité d’origine! Les producteurs ont été valorisés par des articles AVANT le salon, PENDANT le salon et APRES le salon, le suivi de la presse quotidienne régionale, et des sujets radio ou télévision. Étonnant paradoxe d’être identifiés positivement par les habitants qui n’achètent pourtant jamais nos produits mais sont fiers de dire:
Regardez, elle est de chez nous, et elle va au salon à Paris!
Le même genre de contradiction que tous ces producteurs laitiers qui fournissent un lait de qualité à des petites coopératives locales, mais achètent leur "camembert Président " à Lactalis, l’industriel géant qui les méprise et les ruine.
Être fier de nos producteurs quand on les voit à la télé ou qu’ils semblent adoubés à Paris, quelle chouette résonance territoriale! Mais pour que leur activité survive, il faut des actes concrets.
Formulé plus simplement: les encourager c’est bien, acheter leurs produits c’est mieux.

"Une bergère contre vents et marées", épisode 6

"Une bergère contre vents et marées", épisode 6: Pourquoi le mouton?

Par  @Culturebox
Mis à jour le 03/03/2017 à 20H52, publié le 03/03/2017 à 12H00
Bergère #6 illustration© Claude Hubert
Modeste et effacé, le mouton n’est pas l’animal le plus noble du bestiaire mais il est constant et populaire. Sa géniale polyvalence me donne même à penser qu’il pourrait sauver l’avenir de l’agriculture. Donc l’avenir du monde!
Préambule
La profession de bergère concentre un taux inhabituel de saintes et messagères divines: Sainte-Jeanne d’Arc, Sainte-Solange du BerrySainte-Germaine CousinBernadette SoubirousSainte-GenevièveSainte-Noémoise du Poitou
Chères consœurs, la surveillance du troupeau étant propice à une spiritualité pointue, tendons l’oreille dans nos herbages, car nous constituons statistiquement un cœur de cible. Ce qui explique, peut-être, notre perception exaltée de cet animal.
Depuis 1429, des équipements de protection anti vision-céleste ont été développés afin d’assurer l’indépendance de la profession.
Depuis 1429, des équipements de protection anti vision-céleste ont été développés afin d’assurer l’indépendance de la profession.
Le mouton est le premier animal à avoir été domestiqué. Facile, car sa tendance grégaire permettait aisément de l’attraper ou le pousser dans différents herbages. Sa laine a vite été optimisée comme textile: on la ramassait sur les branches où elle s’était accrochée, car ils muaient et perdaient naturellement leurs précieuses fibres.
Les tout premiers moutons étaient très rustiques, et relevaient davantage du petit mouflon marron et rabougri que de l’énorme pelote blanche immaculée qu’on élève aujourd’hui.
Ils se sont répandus dans le monde au fil des migrations humaines et se sont adaptés à tous les types de géographie. Cela a généré une étonnante diversité de morphologies et de couleurs d’animaux. Avec ou sans cornes, hauts sur pattes pour crapahuter sur la roche ou compacts pour éviter la prise au vent, doté d’une toison dense qui protège des températures polaires ou de trois brins de laine rase, au pied montagnard ou marin, adapté aux landes, aux marais, aux forêts ou au désert, boulimique d’herbe chlorophyllée ou sobre comme un chameau… Le mouton c’est la boîte à outils de l’élevage!
 
Quelques une des 200 races qu’on trouve dans le monde. (montage photo Stéphanie Maubé)
Quelques une des 200 races qu’on trouve dans le monde. (montage photo Stéphanie Maubé)

Pourquoi cette popularité inaltérable? Parce qu’il est rustique et pas contrariant du moment qu’il a de l’herbe à brouter. Et s’adapte en quelques générations aux particularités d’un nouveau terroir. Placide et prévisible, il peut être mené par une personne seule, souvent un enfant, la grand-mère ou le simplet du village… Il grandit vite et se révèle polyvalent: au-delà de sa viande, de sa corne, de son cuir ou de sa toison qui permettait d’être en autonomie de textile (quand on ne pouvait pas cultiver de lin ou de polyester!), certaines races produisent du lait. Le mouton donne tout! Est-ce pour cela qu’il est si "christique"? La Bible le cite souvent. Rien que dans la Nativité il joue un rôle majeur: l’étoile du Berger guide les Rois mages jusqu’à la crèche. S’ensuit l’Adoration des Bergers. Avant cela il y avait eu le sacrifice de l’agneau innocent, mué en rite culinaire pascal. La parabole de la "brebis égarée" a engendré la symbolique du pasteur (pâtrepastoral) et la célèbre crosse épiscopale, la même dont on se sert pour attraper un mouton par la patte.
Malgré ces mésaventures pieuses peu valorisantes, son capital sympathie reste intact dans l’imagerie populaire et enfantine.
 
Dessin rétro, puis d’Antoine de St-Exupéry, des Studios Aardman, de La Cotentine Moderne et de F’murr. (montage Stéphanie Maubé)
Dessin rétro, puis d’Antoine de St-Exupéry, des Studios Aardman, de La Cotentine Moderne et de F’murr. (montage Stéphanie Maubé)

Le mouton a traversé l’histoire de l’agriculture en toute modestie, en ruminant avec flegme. Sa place dans les fermes était essentielle car étant moins noble et moins coûteux qu’une vache ou un cheval, il servait à valoriser les "mauvaises" terres: les parcelles trop pauvres ou trop marécageuses pour des animaux lourds, trop pentues, trop caillouteuses, trop loin de la ferme, qu’on ne peut pas labourer, les talus, les espaces publics, les refus des autres animaux… Un pâturage de seconde zone qui l’a façonné comme un tout-terrain de compétition. Ce qui lui a permis d’être présent dans les gastronomies populaires et les identités régionales, lui-même souvent dénommé d’après le nom d’une ville ou d’une région.
Dans la Manche j’ai découvert une relation très particulière aux moutons. Nous avons ici 3 races adaptées à la diversité de notre géographie, quelle incroyable richesse! Cela donne un indice du lien spécial qui les unit aux habitants. C’est dans notre département qu’on répertorie le plus grand nombre d’élevages, mais plutôt dédiés à la consommation familiale, et non professionnels.
Le dimanche, les bouchers grillent gigots et épaules. Aux communions et aux fêtes agricoles, on festoie autour d’un méchoui. Quand on a un grand jardin et une famille nombreuse, on élève quatre moutons et on leur construit une cabane en palettes et en tôles. Et quand on s’ennuie un dimanche d’été, on se rend à un concours de moutons!
Comice agricole d’Avranches. (Claude Hubert)
Comice agricole d’Avranches. (Claude Hubert)
 © Claude Hubert

Lorsque je me présente comme éleveuse de brebis, on me demande quel est mon vrai métier, puisqu’il est rare d’en élever à titre professionnel. Et surtout on me donne des conseils, car tout le monde a une vision personnelle de l’agneau idéal. Vu! je ne suis pas d’ici, on doit me soupçonner non pas d’amateurisme (puisque c’est la norme) mais de trop de professionnalisme!
Le mouton fait donc partie du paysage familier, au même titre qu’avoir deux pommiers ou trois poules dans son jardin. Et le cœur des éleveurs balance entre trois races locales. Il y a le Cotentin et son gros mufle rose qui a besoin de vivre sous les pommiers pour se protéger des intempéries; l’Avranchin avec ses yeux smocky et sa choucroute de laine qui n’aime pas être enfermé; et le Roussin de la Hague, à tête brune, adapté aux embruns et herbages marins.
 
Palmarès de béliers de l’Organisme de Sélection Cotentin Avranchin Roussin.
Palmarès de béliers de l’Organisme de Sélection Cotentin Avranchin Roussin.
Ces trois races ponctuent nos paysages, racontent l’histoire du bocage, des dunes ou des marais. Des fêtes leurs sont dédiées, des associations d’éleveurs les animent, et une technicienne se consacre à leur sauvegarde. Deux sont des "races menacées" qui ont survécu grâce aux micro-troupeaux familiaux, car après la Seconde Guerre Mondiale, les élevages se sont intensifiés et spécialisés, souvent dans la production de lait de vache ou le cochon. Ceux qui ont persévéré dans le mouton ont délaissé leurs races locales au profit de races modernes: standardisées pour leur rentabilité et leur calibrage pour la grande distribution, et leur capacité à vivre hors-sol et hors-saison. Leur mode d’élevage et leur saveur sont interchangeables, ces moutons ne nous racontent plus rien et ils ont perdu leur capacité à valoriser différentes géographies. D’ailleurs, certains ne peuvent même plus survivre dans une prairie.
Est-ce trop révolutionnaire de penser que la piste la plus fiable pour sauver l’agriculture est de remettre des moutons dans leur terroir d’origine? Saveur harmonieuse, santé optimale, coût de production intéressant et paysages diversifiés: des objectifs dans l’air du temps.
Parce que si brouter de l’herbe et grossir au fil des saisons constitue l’activité obsessionnelle du mouton, alors il est l’outil agronomique le plus high-tech que l’on puisse trouver.